Ecrire, de la page blanche à la publication. Marianne Jaeglé

J’ai rencontré Marianne Jaeglé pour la première fois lors d’un des Petit-déjeuners Ecrire pour… que j’anime avec Christie Vanbremeersch. Elle m’a fait le plaisir d’accepter d’inaugurer cette rubrique « Histoire d’une publication » avec son dernier livre Ecrire, de la page blanche à la publication, paru en septembre 2010 aux éditions Les Carnets de l’Info.

A.P. :  Comment t’es venue l’idée de ce livre  ? Est-ce que tu te souviens du contexte, du lieu, d’une demande qui t’as été faite ou d’une rencontre qui a suscité cette écriture ?

M.J. : Depuis déjà un petit moment, j’avais envie de faire un livre sur les ateliers d’écriture. J’en anime depuis maintenant une dizaine d’années, aux ateliers Elisabeth Bing. J’ai eu la chance de rencontrer Jean-Paul Arif, le directeur des Carnets de l’Info par une amie. Je lui ai donc proposé mon sujet. Il m’a répondu qu’il avait une collection dans laquelle ce sujet pourrait entrer, mais qu’il préférait un livre sur la pratique de l’écriture, ce qui serait, selon lui, plus grand public qu’un livre parlant de la pratique de l’atelier.
J’étais bien évidemment partante pour un texte consacré à l’écriture. Une semaine plus tard, je lui ai soumis un plan, dont nous avons discuté ensemble, et qu’il a accepté en y insérant quelques modifications (il m’a notamment demandé d’ajouter un chapitre sur la publication, thème que je ne pensais pas aborder initialement, et qui s’est révélé très riche en définitive).

Ensuite, il a fallu que je me mette à l’écrire, et là, j’ai un peu tourné en rond. Je n’étais pas à l’aise, ce que j’écrivais ne me satisfaisait pas, me semblait pesamment didactique… Je m’ennuyais moi-même dans ces travaux préliminaires, ce qui n’est jamais très bon signe. Cette insatisfaction a persisté jusqu’au moment où j’ai compris : j’étais empêtrée dans un ton académique qui ne me convenait pas, dans lequel tout ce que j’écrivais sonnait faux. A partir du moment où j’ai adopté la deuxième personne du singulier, à partir du moment où ce livre a été adressé à un lecteur imaginaire que je tutoyais parce que je me retrouvais avec lui dans une situation de confiance, une proximité chaleureuse comparable à celle qui existe en atelier d’écriture, tout s’est éclairé. Le travail à faire m’a soudain semblé limpide, simple et clair. J’étais lancée.

A.P. : Tu parles de proximité chaleureuse avec le lecteur, c’est vrai que je l’ai ressentie, j’ai même eu l’impression d’entrer dans une histoire, un peu comme dans un roman. Quel a été le retour de ton éditeur, sur ce ton vraiment particulier,  à la lecture de ton manuscrit ?

MJ : Il m’a questionnée à ce sujet. Il n’était pas totalement convaincu par l’usage de la deuxième personne du singulier, mais a pris le parti de laisser ça en l’état, considérant que ça fonctionnait. En revanche, j’ai eu des réactions de lecteurs offusqués du tutoiement, trouvant peut-être cette familiarité ou cette proximité gênantes, en tout cas inhabituelles.

A.P. : Pour revenir à l’écriture de ton livre, comment as-tu procédé ? Est-ce que tu t’es astreinte à le faire chaque jour, combien de temps, avais-tu des rituels pour écrire et comment te sentais-tu en le faisant ?

M.J. : A partir du moment où j’ai commencé à l’écrire, j’y ai travaillé chaque jour. Je suis quelqu’un qui travaille bien le matin ; j’ai mon rituel d’écriture. Après avoir déposé ma fille à la crèche, j’allais m’asseoir en terrasse d’un bar de mon quartier, et là, je me mettais au boulot. J’avais remis un plan à mon éditeur, j’avais donc plus ou moins une idée d’ensemble des territoires que le livre devait couvrir. Cependant, je ne me suis pas du tout appuyée sur ce plan pour écrire le livre. Dans le chapitre 9 Passer du fragment au texte long, je distingue les écrivains « conscients » des écrivains « émotionnels » ; j’appartiens moi-même très fortement à la catégorie des écrivains « émotionnels » qui, pour travailler, se fient à ce que leur dicte leur inconscient. Si j’avais essayé de remplir les cases préalablement définies par le plan, je me serais immédiatement trouvée dans une impasse. J’aurais été tout simplement incapable de le rédiger.

Je me suis donc laissée écrire tous azimuts, chaque jour, à propos de tout ce qui me venait à l’esprit, sans aucune intention préalable. Je m’étais seulement fixé l’objectif de produire un minimum de 3000 signes par jour. Tel souvenir du film Amadeus de Milos Forman, telle réflexion de Tchekhov, telle remarque faite en atelier par une participante, telle impression de lecture, tel souvenir de mon propre parcours d’écriture … me fournissaient jour après jour la matière d’un ou deux textes courts, de trois mille signes environ (ce qui correspond dans le texte actuel aux sous chapitres). Je me sentais dans une merveilleuse liberté, puisque tout ce qui me venait (souvenirs personnels, réflexions autour du travail, phrases d’artistes décrivant leur processus de travail….) avait trait, de près ou de loin, à l’écriture, et donc était susceptible de fournir de la matière pour mon livre à venir.

L’après-midi, je travaillais chez moi, à l’ordinateur ; je recopiais le (s) texte (s) écrit(s) le matin, je cherchais des citations d’écrivain, je (re) lisais des livres dédiés à l’écriture… J’évitais soigneusement de relire ce qui avait été produit, d’avoir une impression d’ensemble, de chercher à composer le texte. Je me contentais d’amasser du matériau.

J’ai travaillé dans une profonde sensation de bonheur ; d’une part, je savais mon texte attendu par un éditeur, ce qui est beaucoup plus agréable que d’écrire en se disant qu’on risque, après tous les efforts produits, de ranger son texte dans un tiroir. D’autre part, je m’amusais bien à écrire les petits chapitres qui devaient composer le livre. Ce n’était ni dangereux, ni douloureux (chose que l’écriture d’un roman est nécessairement, en ce qui me concerne). C’était de l’ordre du jeu. Il y a aussi, certainement, le fait que, ayant animé des ateliers pendant dix ans, j’avais plus ou moins consciemment amassé un matériau énorme. Des exemples de blocages et de réussite, des phrases clés d’écrivain permettant de définir les étapes du processus, des expériences et des réflexions personnelles… Tout cela était prêt dans ma mémoire, je n’avais qu’à tirer doucement sur le fil pour que cela vienne se poser sur la page de mon cahier. Enfin, le bonheur que j’éprouvais avait aussi profondément à voir avec la compagnie imaginaire dans laquelle je me trouvais. J’ai parlé du tutoiement, du fait qu’il m’installait en pensée dans une situation de proximité chaleureuse avec le lecteur, comme si nous étions en atelier ; je me sentais aussi dans une situation de proximité chaleureuse avec Victor Hugo, dont j’étudiais les brouillons, avec Flaubert, dont je relisais la correspondance ; avec Rilke, Proust, La Fontaine, Marguerite Duras, Joyce Carol Oates… C’était comme si ce qu’ils avaient écrit, ils l’avaient écrit pour moi, pour me permettre d’écrire à mon tour, et d’aider d’autres gens à écrire. C’est donc en m’inscrivant mentalement dans cette chaîne de transmission que j’ai donné naissance à ce texte.

Après trois mois de travail, j’avais réuni les 300 000 signes requis pour faire le livre. Je me suis alors attachée à la composition ; j’ai mis en regard le plan que j’avais initialement remis à l’éditeur et la masse de texte que j’avais produite et assemblée. Je me suis efforcée de faire entrer ce que j’avais écrit dans les catégories définies initialement comme devant faire partie du livre. Ca coïncidait plus ou moins. Il y avait des répétitions à certains endroits, des lacunes à d’autres. Je me suis efforcée de remédier aux deux, il n’y avait rien là d’insurmontable. Mon inconscient avait bien fait son boulot : je me refusais à songer au plan, mais lui avait fait en sorte que, dans son désordre, mon texte couvrait à peu près l’espace prévu initialement. Il me restait à mettre de jolis titres, à farcir mon propre texte des jolies citations que j’avais accumulées durant la période de préparation, et le tour était joué.

A.P.: Comment as-tu vécu la remise de ton manuscrit, la découverte de la maquette et finalement la sortie du livre ?

M.J. : La remise du manuscrit s’est effectuée sans heurts, quoique dans l’urgence, comme toujours. Je m’étais fait relire par trois personnes (mes amies Claude Gateau et Catherine Le Gallais, animatrices d’écriture elles aussi, et Gilles Bertin, auteur) qui m’avaient rassurée sur la capacité du texte à aider un lecteur ; sur le fait que je n’avais pas écrit de grosses bêtises, et sur le fait qu’il n’y avait pas non plus de lacunes majeures (il s’agissait de mes trois angoisses principales). J’ai remis le texte à Jean-Paul, qui l’a accepté en suggérant de toutes petites modifications ici et là – il s’agissait surtout d’ajouter quelques éléments qui, selon lui, faisaient défaut. Ca s’est fait sans problème.
La maquette, en revanche, m’a posé problème. Je n’aimais pas la couverture (je trouve toujours qu’elle fait songer à un manuel scolaire, alors que mon texte veut être une incitation à la liberté). Je n’aimais pas le titre pour lequel nous avons opté en définitive ; bref, je me sentais un peu trahie. J’avais le sentiment que l’éditeur donnait à mon travail un visage qui ne lui correspondait pas.

Je venais de faire la même expérience avec mon roman paru en juin chez Jacques-Marie Laffont, Vous n’aurez qu’à fermer les yeux. Ce texte s’intitulait initialement A la folie, titre pour lequel j’ai encore de la tendresse ; Jacques-Marie Laffont avait voulu son remplacement par Vous n’aurez qu’à fermer les yeux, puis par Vous n’avez qu’à fermer les yeux, avant de revenir à Vous n’aurez qu’à… Je me sentais épuisée et dépouillée de mon travail, ballotée au rythme de ces changements dont je n’étais souvent informée qu’à la dernière minute, voire pas du tout…. J’avais le sentiment qu’on ne respectait ni mes livres ni moi… C’était tout sauf facile à vivre.

Pour en revenir à Ecrire, après négociations, Jean-Paul a fait changer la couleur de la couverture, quelques éléments de typographie. Je me suis habituée au titre. J’ai aussi admis que pour un auteur, la remise de son texte est souvent synonyme de dépossession, et que cette dépossession se vit généralement de façon douloureuse. J’ai lâché prise là-dessus, et à partir de là, tout est allé mieux.

Quant à la parution, elle s’est faite de façon harmonieuse. Le livre a été bien mis en place dans les points de vente. Il a intéressé certains médias. J’ai le très grand plaisir de recevoir des lettres de personnes inconnues, qui m’écrivent pour me dire que le livre les a aidées, et pour me remercier de l’avoir écrit, ce qui est prodigieusement satisfaisant.

Pour lire Marianne vous pouvez également découvrir son blog, mariannejaegle.over-blog.fr ainsi que son roman « Vous n’aurez qu’à fermer les yeux« 

novembre 2010 3
3 commentaires
  • Antoinette
    novembre 17, 2010

    C’est vrai que la couverture du livre est très agressive
    Il faut avoir un tempérament de battant pour prendre et ouvrir ce livre.
    Et la comparaison avec Flaubert, Proust freine toute suite la création qui souvent se fait dans l’humilité et la discrétion. Le doute étant un facteur essentiel à la création.
    Le tutoiement doit paraitre bizarre après cette entrée en matière très brutale et agressive.

    • Anna Piot, des Mots & du Sens
      novembre 17, 2010

      Bonjour Antoinette, effectivement la couverture « claque », mais elle a le mérite d’être vue 😉
      Je vous assure que on se remet très bien de la première hésitation à le saisir et à l’ouvrir, dans une Fnac bondée ou pire dans une librairie « chic » car le contenu est infiniment stimulant pour écrire, apprendre, se questionner… même avec le tutoiement.
      Marianne Jaeglé a réalisé une prouesse, sortir l’écriture de son ghetto et c’est en ce sens que nous cheminons elle et moi dans la même direction.
      Et enfin les éditeurs publient des livres pour qu’ils se vendent et pas juste pour faire « joli » dans des bibliothèques ;-). Finalement ce rouge qui vibre sera peut-être une aubaine pour ce livre.

  • Gilles
    décembre 5, 2010

    J’ai fait partie des lecteurs préliminaires de ce livre puis je l’ai maintenant avec sa couverture rouge.
    Je l’utilise une ou deux fois par semaine pour me redonner du courage quand je me perds dans la non écriture… toutes ces mauvaises raisons que l’on s’invente pour ne pas écrire. Car le livre de Marianne est à la fois très pratique et couvre très largement tous les pans du travail d’écriture. Il a rejoint pour moi l’autre livre que j’utilise depuis des années pour prendre de l’altitude au-dessus des difficultés : « Ecrire » de Stephen King.
    Il est pour moi rassurant d’avoir quelqu’un comme Stephen King ou Marianne Jaeglé qui me disent qu’ils ont rencontré les mêmes difficultés que celles que je rencontre et comment ils ont réussi à les dépasser en travaillant régulièrement et de façon méthodique. J’aime ce mélange de mise en place d’un cadre de travail pour permettre à l’écriture de poindre.

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