Raphaëlle, Julie et moi nous sommes rencontrées via leur écriture. Elles m’ont proposé de lire un projet avec lequel j’ai tout de suite accroché, séduite par leur approche originale de la culture japonaise au travers de portraits de femmes. Un an après cette rencontre leur ouvrage est publié chez Autrement et c’est suffisamment exceptionnel pour être souligné, parce que : pas de piston, juste du talent, du culot, une bonne étoile… et des bottes roses ! Forcément j’ai eu envie de leur offrir un espace dans cette rubrique pour raconter l’histoire de leur publication.
Comment vous est venue l’idée de ce livre ?
Nous avions déjà collaboré sur un précédent projet : la version franco-japonaise d’un magazine épicurien (Le Miam). Nous sortions beaucoup pour cela, déjeunions souvent à l’extérieur et avons beaucoup observé toutes ces femmes qui sortaient entre elles. Nous avions par ailleurs de nombreuses expériences avec des Japonaises à travers nos projets professionnels: Julie en tant qu’organisatrice d’événements autour de l’art contemporain, Raphaëlle en tant que journaliste pour la télévision et correspondante pour la presse professionnelle cosmétique (groupe Cosmédias). Nous donnions également des cours de Français et de cuisine, bref l’univers féminin nous était assez familier. La forme des chroniques était déjà celle utilisée pour Le Miam et nous trouvions qu’il fonctionnait bien, surtout à quatre mains et nous avons donc choisi de conserver cette « figure de style ». Pour toutes ces raisons, nous avons décidé d’écrire ce recueil de chroniques sur les femmes de Tokyo, qui nous ont attendries, touchées, émues…
Concrètement comment se passe une écriture à quatre mains, sachant que vous n’étiez pas sur les mêmes continents ?
Fortes de nos expériences diverses et de toutes nos rencontres, assez rapidement un sommaire s’est dégagé autour des spécificités du caractère propre de la femme de Tokyo. Puis on a dressé une liste d’une cinquantaine de femmes de tous univers (femmes au foyer, actives, jeunes, moins jeunes, mariées ou en couple, internationales ou traditionnelles). Pour chaque thème, nous interrogions notre panel pour faire se dégager une tendance de fond. Nous y ajoutions des ITW ciblées et avons extrait des citations bien choisies. Nous complétions notre enquête par des ITW sur le terrain, des expériences de vie et de nombreuses visites de lieux essentiels à l’élaboration du contenu. Nous avions établi le sommaire ensemble puis chacune, selon ses affinités et légitimité a choisi de prendre à sa charge la rédaction de certaines chroniques. Julie avait par exemple sa fille à la crèche, il était donc évident que ce serait elle qui rédigerait ce qui était afférent à l’éducation des petits. Quant à Raphaëlle, en plein parcours de fécondation in vitro à l’époque, elle a par exemple très naturellement rédigé le texte sur la FIV. Chacune envoyait à l’autre ce « 1er jet » et à partir de là, le ping-pong commençait. Nous avions un système bien rôdé de « corrections » ou plus exactement de « propositions alternatives ». Parfois on hésitait entre trois synonymes et l’on attendait de voir le ressenti de l’autre, ses préférences. Généralement nous tombions assez vite d’accord sur « ce qui sonnait le mieux » et quand on ne parvenait pas à trancher, on tirait à pile ou face ! Un partout, balle au centre. « Ok, va pour lubie plutôt que passion, pour persévérance à la place d’acharnement »… cela en devenait même parfois assez drôle. Une chose est sûre, il nous semble que nous avons toujours essayé de trouver un terrain commun « pour le bien du texte », sans être dans des rivalités d’auteur ou des luttes d’ego mal placées. Nous avons toujours ressenti beaucoup de respect et une volonté d’harmoniser nos points de vue. Raphaëlle a ensuite déménagé à Londres et le ping-pong a continué mais à partir de là à 10 000 kilomètres et 9 h de décalage horaire: un jeu assez amusant mais pas toujours évident ! Des heures et des heures de conversation sur skype, au petit matin pour Raphaëlle ou tard le soir pour Julie, à l’heure du café du matin pour l’une, à celle du goûter pour l’autre…. pas toujours simple de jongler mais on a fini par trouver notre petit rythme quotidien.
Comment s’est fait le passage du manuscrit, né d’une envie, à l’édition d’un livre chez Autrement, qui est un éditeur dont beaucoup rêvent ?
Nous avons terminé le manuscrit en janvier 2010. Nous avons préparé une présentation comprenant un synopsis, le sommaire et des extraits de chroniques pour allécher ! Nous avons d’abord fait fonctionner notre réseau, mais sans succès. Nous n’étions pas découragées pour autant car les éditeurs en question ne correspondaient pas totalement au projet. Nous avons passé beaucoup de temps en librairie pour feuilleter des ouvrages et cibler davantage notre prospection avec l’aide de professionnels. Nous avons alors envoyé par courrier à une dizaine de maisons d’édition en choisissant les chroniques susceptibles d’attirer tel ou tel éditeur. Autrement faisait partie des éditeurs dont nous rêvions. Or, les mails de toute l’équipe étaient accessibles sur leur site Internet. Nous avons décidé d’établir un premier contact par ce biais. Contre toute attente, Henry Dougier, le patron d’Autrement a répondu le jour même en personne ! « Votre concept m’intéresse, je vais y jeter un oeil ». Trois heures plus tard, second mail: « j’ai commencé à lire vos chroniques, j’aime bien ». C’était un jeudi. Nous lui répondons du tac au tac que nous sommes à Paris (Julie s’était installée depuis peu à Genève et Raphaëlle à Londres), et que nous pouvons le rencontrer. Dans la foulée, il nous répond, nous donne son numéro de téléphone portable et nous dit de l’appeler et de ne surtout pas hésiter à insister. Ne jamais dire aux Tokyo Sisters de ne pas hésiter à insister car elles prennent tout au pied de la lettre ! Bref, nous l’appelons et convenons d’un RV le lendemain vendredi 10h. Raphaëlle est en avance, fait du lèche-vitrine en attendant et tombe sur une paire de bottes rose fuchsia. Elle attend l’avis de sa Sister : « Ca fait vraiment Tokyo, c’est un signe ! » Raphaëlle les achète et Julie promet d’en faire de même si Autrement décide de les publier ! “ On les portera toutes les deux le jour du lancement place de la Concorde ». Oui, les Tokyo Sisters sont ambitieuses !
Le rendez-vous se passe de manière inespérée, Henry Dougier (qui a fondé les éditions Autrement il y a 15 ans) fait descendre sa jeune stagiaire japonaise pour « validation » du contenu et en 20 minutes, tout est bouclé. Le patron a l’air aussi excité que nous par le projet : « Alors, on le sort quand ? juin ? septembre ? Allez on s’occupe des contrats, vous vous mettez en relation avec la lectrice-correctrice et on y va. Votre livre me plaît, j’ai envie de me lâcher » Les Tokyo Sisters aiment que ça aille vite mais là, ça a dépassé tout entendement ! Elles ressortent rue du Faubourg St Antoine, Raphaëlle jette un oeil à la vitrine, Julie fonce s’acheter les bottes roses ! Depuis ces bottes rose fuchsia, notre symbole kitsch évocateur de la ville de Tokyo, ne nous quittent plus, elles sont même devenues notre marque de fabrique ! Et bien évidemment nous les portions le jour du lancement, non pas place de la Concorde, mais au dernier étage (vue sur tout Paris) de la magnifique Maison de la Culture du Japon à Paris, pas mal non plus ! Merci Henry pour votre confiance !
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